Au lendemain de la Toussaint s’est tenue une soirée ciné-débat au cinéma Utopia organisée par Syprès: de quoi se réchauffer en ce début de saison hivernale, tout en échangeant sur la mort !
Cette soirée s’est articulée autour de deux éléments : la projection et visionnage du film “La vie est ailleurs” réalisé par Elsa Quinette et l’intervention de notre invitée, Manon Moncoq, anthropologue spécialisée dans le funéraire et préparant actuellement une thèse sur les funérailles écologiques, intervention qui a suscité un débat par la suite.
C’est dans ce lieu unique en son genre, que beaucoup d’entre nous découvraient à cette occasion, que nous avons visionné ce film singulier.
Ethnologue de formation et reporter, Elsa Quinette nous parle à travers son film “La vie est ailleurs” de la mort et de la cohabitation avec cette dernière. On y suit la grand-mère de la réalisatrice, Baboussia, qui fête ses quatre-vingt dix ans, consciente de sa fin de vie et qui aura un discours satirique sur le sujet : “La mort, c’est le bonheur parfait”.
Satyre amplifiée par son fils aîné, qui, comme pour conjurer la hantise, joue et rit de la mort proche de sa mère. Des images du quotidien de Baboussia et de ses proches, tournées lors de la seconde guerre mondiale, témoignent de ce rapport rapproché avec la mort dans cette famille de réfugiés juifs ayant perdu nombre de leurs êtres aimés dans les camps. Ce rapport à la mort mène Elsa Quinette à entreprendre un voyage en Inde, au bord du Gange, où les vivants cohabitent littéralement avec les défunts et le besoin, presque thérapeutique, d’en faire un film.
Cette nécessité de libérer la parole autour de la mort comme ce besoin de s’en rapprocher en observant ce qui se fait ailleurs, c’est la base du travail de l’anthropologie de la mort.
Manon Moncoq en est le parfait exemple: sa mission est d’ouvrir la parole sur la mort et de communiquer sur ce qui se fait autour des nouvelles façons de faire le funéraire.
Nous avons écouté son parcours, comment elle en est venue à faire de l’anthropologie sur le funéraire, sa passion pour son travail et ses différentes thématiques de recherche.
Son intervention a porté sur le milieu du funéraire en profonde transition, avec l’apparition notamment de nouvelles formes de sépultures comme l’humusation ou l’aquamation et des funérailles qui se veulent de plus en plus proches de la nature et de l’humain, de l’importance du rite laïque dans une France qui désacralise de plus en plus la pratique religieuse et se rapproche davantage des alternatives écologiques.
« On peut agir petit à petit et limiter notre impact environnemental… Mais encore faut-il le savoir et savoir comment agir, donc se tourner vers des professionnels du funéraire qui sauront vous conseiller, comme les coopératives, par exemple, qui sont sensibles à ces questions environnementales. Ce n’est pas que prendre soin de l’environnement, c’est aussi prendre soin de nos défunts. C’est une quête de sens et une certaine idée de retour à la nature, de don à la nature, qui nous a tant donné pour nous nourrir, nous faire respirer pendant toutes ces années passées sur terre. C’est ce que j’essaye de soulever dans mon travail” (Manon Moncoq)
Comme un café mortel, les échanges et les questions fusent et on ressent ce besoin de partager son expérience, ou d’en apprendre toujours plus sur le milieu du funéraire et sur ce qui est possible, ou non, dans les moyens de faire des cérémonies ou des sépultures.
Manon Moncoq, Edileuza et Olivier Gallet ont été là pour épauler les discussions et apporter des réponses sur différents sujets, comme la possibilité de transporter ou de garder une urne, de pouvoir inhumer un défunt sans cercueil ou dans une propriété privée, qu’est qu’on appelle les nouveaux rituels et à quoi ils consistent, la place des professionnels du funéraire dans l’aide aux familles et la nécessité d’avoir des espaces pour faire des cérémonies laïques.
“ Moi j’ai connu des périodes où on parlait pas de la mort, il y a une vingtaine d’années, la mort était taboue. Tandis que maintenant, ce sont des sujets qui sortent de l’intimité et devient un sujet dont on parle. Ce qui est intéressant dans cette démarche laïque c’est que ça fait sortir de choses cadrées par la religion et nous permet de pouvoir parler librement, mais aussi qu’il y ait un accompagnement professionnel, qui, de ce que j’ai pu assister, c’était pas seulement un accompagnement personnel technique, mais surtout un aspect émotionnel, d’amour et de rencontre entre les gens” (Maïté, bénévole à Syprès).
Ainsi, pendant une heure, dans cette ancienne église réaffectée en cinéma, nous avons échangé sur la mort et sur le funéraire. Une bulle de bienveillance qui nous aura permis de découvrir une actrice importante du renouveau funéraire, d’écouter et participer à des échanges passionnants et nous donner la force de continuer le combat qui est de libérer la parole et la perception sur la mort et le mourir.
Si vous voulez participer à échanger autour de ces différentes questions, deux cafés mortels sont organisés prochainement par la coopérative Syprès, le 4 décembre à 18h à l’Entre2mondes à Créon, et le 10 décembre, même heure, au réseau Paul Bert à Bordeaux.
Nous tenons à remercier de tout cœur Manon Moncoq d’être venue animer cette soirée ciné-débat, de son implication et soutien, mais aussi le cinéma Utopia d’avoir encore une fois accepté de nous suivre dans nos aventures malgré une situation sanitaire mettant à mal les cinémas indépendants.
Enfin, nous aimerions remercier la quarantaine de personnes présentes: vous voir aussi nombreux nous pousse à organiser d’autres évènements et c’est un soutien précieux pour la coopérative Syprès !
Texte d’Axelle Senouci