Antoine* était « l’âme du foyer d’hébergement », très apprécié de ses collègues et des professionnels qui l’accompagnaient.
Il a marqué de son vivant, et lors de son décès tout un établissement.
Antoine est devenu orphelin à 8 ans suite au décès par cancer de ses parents. Il a été séparé de ses deux frères et de sa sœur, qui étaient en âge de travailler, et il a été pris en charge par l’État. Sa plus grande peur : se retrouver de nouveau seul. C’est en effet la solitude qui avait entraîné à la veille de ses 40 ans une décompensation psychique ce qui l’a amené à rejoindre un établissement et service d’aide par le travail (ESAT). Par son histoire, il a toujours considéré ses éducateurs comme « sa famille institutionnelle ».
Travailleur et résident pendant 22 ans au sein de l’établissement, Antoine a commencé par les ateliers maraîchages avant de rejoindre les ateliers espaces verts. Oui, c’était un passionné d’horticulture ! Quand il ne travaillait pas, il s’occupait des plantes et des fleurs du foyer et autour de chez lui. Il adorait partager sa passion et n’hésitait pas à offrir ou troquer des plantes. « Gourmand », « généreux » et « joyeux », sont les adjectifs le plus souvent mentionnés lorsque son souvenir a été évoqué. Il a marqué de son vivant tout un établissement par les graines qu’il a semées dans la terre, et dans les cœurs de ses collègues et amis.
Antoine souhaitait travailler le plus longtemps possible afin de pouvoir rester au sein du foyer. En effet, il y a encore peu de temps même si, à leur retraite les travailleurs devaient quitter leur logement, Antoine, grâce à la mise en place d’un foyer occupationnel, il pouvait rester, il craignait de devoir partir. Il est décédé à l’âge de 62 ans. Il travaillait alors à mi-temps. Ce jour-là, comme beaucoup d’autres, à la fin de sa journée de travail, il a déposé ses collègues et les glacières au niveau des cuisines, puis a repris le camion pour le garer au local, signifiant ainsi la fin de sa journée. Il a eu un arrêt cardiaque foudroyant en descendant du camion. Il est décédé devant ses collègues, accompagnateurs et amis. Plusieurs collègues ont tenté de le réanimer, en vain.
Il devait prendre sa retraite ce soir-là et partir en vacances. Son décès aura aussi marqué tout l’établissement.
Après avoir assuré la dimension administrative de l’accident, l’établissement s’est mobilisé spontanément en préparant un cahier pour recueillir les témoignages collectifs, en proposant une minute de silence et en ouvrant des espaces de paroles pour soutenir les travailleurs et les résidents. Le contexte du COVID n’a pas rendu possible la participation à ses funérailles, ce qui rend le deuil difficile. L’une de ses « préférantes », comme il aimait les appeler, connaissait bien ses dernières volontés et les liens forts qu’il entretenait encore avec sa famille et elle a facilité l’organisation de ses funérailles. Car au moment du décès ce sont les membres de la famille qui prennent le relai du curateur ou du tuteur. Si les dernières volontés ne sont pas anticipées et que les relations avec la famille sont difficiles ou inexistantes, l’établissement se retrouve en difficulté pour l’organisation des obsèques. Le décès d’Antoine, par ses circonstances particulières et l’émotion qu’il a suscité a révélé la nécessité de mettre en place une vraie réflexion sur le sujet de la mort.
Le travail d’accompagnement Lab que nous avons réalisé avec les professionnels et résidents/travailleurs a permis d’ouvrir un espace de dialogue sur le sujet, encore difficile. Le diagnostic a mis en évidence l’importance de groupes de parole pour soutenir les professionnels et les résidents. Il a aussi mis en avant le besoin de faire une cérémonie d’hommage en sa mémoire à l’échelle de l’établissement. De plus, la question des lieux et espaces de recueillement est apparue comme un sujet à traiter, plusieurs résidents mentionnant leur besoin de se recueillir quelque part en sa mémoire. L’un d’entre eux, proche d’Antoine, n’a d’ailleurs pas attendu un espace collectif et s’est créé un mémorial chez lui.
Au delà des travailleurs et des résidents, les professionnels de l’établissement ont été marqués par ce décès. La question de la posture professionnelle et de la distance à adopter a été évoquée : comment faire face lorsque cela nous touche ? Peut-on montrer notre vulnérabilité ? Avons-nous le droit de vivre un deuil ? Quelle posture/distance adopter ? En effet, par exemple, pour ses référentes, Antoine n’était pas un membre de la famille, mais il n’était pas non plus un inconnu. Des liens d’attachements s’étaient tissés au fil des années. Encore aujourd’hui, l’une de ses référentes se rend tous les matins à son domicile, pour faire la tournée des logements. Les professionnels vivent aussi un deuil. Libérer la parole sur le sujet, dans des espaces qui ne sont pas thérapeutiques, mais dédiés à une parole ordinaire sur ce que chacun traverse est un véritable soutient. Par ailleurs, de nombreux professionnels appréhendent d’évoquer ce sujet avec les résidents et travailleurs de peur d’être maladroit, d’aggraver leur état psychique et d’entraîner une décompensation. Pourtant, en attestent les résultats des cahiers d’exploration distribués, les travailleurs/résidents qui y ont participé ont témoigné leur soulagement de pouvoir déposer ce qu’ils ressentent, leurs questions, leurs angoisses vis-à-vis de la mort…
Les établissements médico-sociaux sont confrontés à la mort, et cela affecte toute l’organisation. Le Lab Syprès travaille au développement de réponses à ces besoins et difficultés. Nous créons des cérémonies d’hommages sur mesure pour vos établissements, nous aidons à l’élaboration de guides pour accompagner les dernières volontés, ou nous organisons des ateliers pour libérer la parole ordinaire sur le sujet. Notre Lab soutient le développement de nouveaux services dans l’intention d’apporter un apaisement à ceux qui restent.
*Le nom a été modifié pour préserver l’anonymat.