Libre penseur et croyant fervent, artiste multicarte et humble artisan, humaniste bienveillant et provocateur né, Daniel Esposito était tout cela à la fois. Sa cérémonie d’adieu fut à son image, libre et poétique, laïque et mystique, emplie de poésie, de beauté et de bonté.
«Qui peut quitter son ami sans verser de larmes ? », « À bientôt chez les oiseaux », « Tu me diras si le ciel est bleu », « On se tient au jus », « Tu as rejoint les étoiles, tu vas briller pour beaucoup d’amis », « Amour, Anarchie », « Merci Daniel pour ce passage dans ma vie », « Qui est dans la vie de qui ? Toi dans la mienne ? Moi dans la tienne ? La réponse est oui, Daniel. La réponse est belle », « Mon papa bien aimé, tu seras récompensé pour ta bonté », « Je t’aime Papa. Ta fille unique préférée », « Éternelle reconnaissance à toi, mon papa clown », « Mon père de cœur, je te remercie pour ton amour », « Merci d’être toi mon tonton. Ta nièce préférée », « Keep me a warm seat. I Will see you soon »…
Ces quelques messages parmi tant d’autres, illustrés de bateaux, d’arbres, de cœurs et de nez de clowns, étaient autant d’épitaphes éphémères écrites par ses proches sur le cercueil en carton de Daniel. Comme souvent dans les cérémonies organisées par Syprès, un « geste » est ainsi proposé à l’assistance pour que tous participent aux adieux. Au-delà des messages et des dessins, il y avait également, prêtes à être collées sur le cercueil, des définitions, découpées dans un dictionnaire, choisies par ses proches.
« Pédagogue », « émotion », « musique », « intuition », « mystique », « comique », « authentique», « franc », « lumière », «intelligent », «éclaireur », « sensible » …
Autant de mots qui traçaient le portrait fractal d’un immense amoureux des mots.
C’était le 27 décembre 2024 lors de la cérémonie qui lui était consacrée au crématorium de Mérignac.
Pendant une heure, le blockhaus impersonnel qui accueille le dernier passage des défunts au milieu des vivants est devenu un lieu chaleureux, un peu foutraque, empli de symboles et de musiques, d’œuvres d’art (des peintures, des sculptures…) et d’objets du quotidien (des chaussures, une casquette, des boules et un cochonnet…), de coquillages, de fleurs, de photos, de disques et de livres, de beauté aussi, de bonté surtout, bref un lieu à l’image de Daniel qui tenait à ce que cette cérémonie soit « poétique, ouverte et libre.»
« Son temps, c’était le vôtre »
« Ce n’est pas parce qu’il est né à Porto que Daniel était portugais. C’est plutôt du sang italien qui coulait dans ses veines, plus précisément napolitain par ses aïeux paternels, arrivés en bateau dans la cité phocéenne, quelques décennies plus tôt. Il aimait rappeler aussi que le fameux test ADN attestait qu’il avait 16% de sang irlandais. »
En ouverture de la cérémonie, c’est ainsi qu’a commencé l’hommage écrit par Erika Bataille, célébrante chez Syprès.
Oui Daniel Esposito était né quelque part mais il tenait aussi à dire qu’il était ouvert sur le monde. Margot, la mère de ses deux premiers enfants était écossaise, son fils aîné vit à Genève, sa fille qui a travaillé pour l’ONU à Jérusalem est aujourd’hui à New-York… Cependant, c’est dans son village du sud Gironde que ses cendres reposent aujourd’hui dans une urne réalisée par le potier du village, selon sa volonté. Daniel était d’ici et d’ailleurs, il ne rentrait dans aucune case car il les cochait toutes.
Érika l’a bien saisi dans son hommage :
« Un mec ambivalent, à la fois mental, cérébral et dans le contrôle, et à la fois hypersensible, exprimant ses émotions et encourageant les autres à faire de même.
Un homme de foi, engagé sur un chemin spirituel, attentif aux signes et pour qui, rien n’est séparé.
Un gars provoquant, appuyant parfois là où ça fait mal mais toujours honnête, parlant de tout, sans tabou. Toujours disponible, sur qui on pouvait compter parce que son temps, c’était le vôtre ».
« Affronter la fin avec sérénité et humour»
Daniel était une belle personne et un sacré personnage doté d’une personnalité hors norme, un homme aux talents multiples qui s’épanouit successivement comme comédien, technicien, producteur télé, électricien de campagne, marin, musicien, poète, dessinateur… Un touche à tout génial, mystique et rebelle, un anarcho franciscain qui vécut « à la grâce de Dieu » mais refusa les rituels religieux pour sa cérémonie d’adieu.
C’était aussi un compagnon de route de Syprès. Il participa aux côtés de Stella, sa dernière compagne, à l’expérience « Osons les derniers jours heureux » à Captieux. Et il joua de son étrange violon alto électrique à plusieurs cérémonies.
Mais il tenait aussi à interpréter ses compositions à ses propres funérailles ! Pendant la cérémonie, on diffusa un morceau enregistré quinze jours plus tôt lors de son dernier concert dans les locaux des soins palliatifs de la Réole. Ce jour-là, Daniel a joué ses étonnantes et envoûtantes improvisations, accompagné au violoncelle de Muriel, sa première amoureuse avec qui il était monté apprendre le théâtre à Paris dans les années 80.
Ce jour-là aussi, il ne jouait pas seulement d’un instrument à cordes mais aussi de son humour féroce et salvateur. À un brancard qui passait dans les couloirs, il commente : « Quelqu’un va mourir ? » Puis quand une vieille dame passe à son tour, il lance : « C’est pour vous le brancard ? »
Il fallait que la cérémonie ressemble à cet esprit libre et frondeur. William, son fils aîné ne s’y est pas trompé en commençant ainsi son intervention :
« Ceux qui connaissent bien papa, savent qu’il aimait bien passer du temps aux toilettes. Pour l’honorer je me suis laissé aller à traîner à la selle. Et dans la bibliothèque de la toilette j’ai découvert un roman d’Agatha Christie : « La mort n’est pas une fin » »
Un livre qui parle de vie, de mort et de ce qu’on laisse derrière nous.
Et William d’égrener ce qui rapproche Daniel des personnages du roman : son existence simple proche de la nature, sa conviction qu’il existe une vie après la mort, sa recherche des relations humaines « entières » et sa quête de paix intérieure face à l’inéluctabilité de la fin.
« Vous avez peut-être vu, comme moi, Papa affronter la fin avec sérénité et même beaucoup d’humour. Comme s’il voulait nous montrer que la mort peut avoir un sens, une forme de beauté. »
« Il sera récompensé»
Ses trois enfants ont trouvé la force de venir témoigner pour ses adieux. Sa fille a tenu à lire la très belle prière attribuée à l’homme qui inspirait la vie de Daniel, Saint François d’Assise, une prière qui sonne comme un poème et qui lui ressemble tant…
Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix,
Là où est la haine, que je mette l’amour.
Là où est l’offense, que je mette le pardon.
Là où est la discorde, que je mette l’union.
Là où est l’erreur, que je mette la vérité.
Là où est le doute, que je mette la foi.
Là où est le désespoir, que je mette l’espérance
Là où sont les ténèbres, que je mette la lumière.
Là où est la tristesse, que je mette la joie.
Ô Seigneur, que je ne cherche pas tant
à être consolé qu’à consoler,
à être compris qu’à comprendre,
à être aimé qu’à aimer.
Car c’est en se donnant qu’on reçoit,
C’est en s’oubliant qu’on se retrouve,
C’est en pardonnant qu’on est pardonné,
C’est en mourant qu’on ressuscite à l’éternelle vie.”
Étrange cérémonie laïque, teintée de mysticisme.
Ittaï, son dernier fils qui vit avec sa mère dans une communauté religieuse au Béarn a aussi tenu à improviser quelques mots qui n’étaient pas prévus dans le « conducteur » chronométré par Erika :
« Je sais que mon père m’a aimé. Il a toujours supporté mon choix. Au début, c’était le choix de ma mère. Mais à plusieurs reprises, il s’est assuré que j’étais heureux, même si pour lui ce n’était pas facile. Pour cela, il sera récompensé.»
Comme dans toute cérémonie, les prises de paroles étaient souvent entrecoupées de sanglots. L’émotion est partout palpable mais elle n’exclut pas les rires car les cérémonies doivent d’abord ressembler au défunt.
Ainsi quand Serge et Margot lisent des mots écrits par les amis qui n’ont pas pu venir, cette dernière prévient : «Quelques-uns sont en anglais. Excusez-moi de mon accent écossais. Daniel trouvait toujours que ça ressemblait à l’allemand !»
«Partir nu comme je suis venu au monde»
La rage de vivre qui habitait Daniel est aussi là lorsque son ami Jacques a lu un de ses poèmes qui raisonne avec intensité ce jour particulier :
« Il faut sauver sa peau. Sauver sa peau encore une fois, des corrosions, de la mousse, des champignons. Sauver sa peau pour être au jour, debout, sans précaution, avec son âme au bout des doigts, à regarder l’autre. Sauver sa peau de soi. »
L’un des aspects les plus marquants des cérémonies laïques, c’est souvent de découvrir lors des hommages des aspects méconnus d’une personnalité que même ses plus proches ne connaissent que de manière parcellaire dans une temporalité limitée.
Son ami Eric a évoqué ses jeunes années au collège puis au lycée Camille Julian à Bordeaux en comparant Daniel à un personnage de fiction qui lui correspondait en tout point :
Dans « Le péril jeune » de Cédric Klapish, un film sorti en 1994, quatre anciens lycéens des années 70, une fois devenu adultes, se retrouvent après la mort de leur emblématique condisciple incarné à l’écran par Romain Duris.
Et comme dans le film les anciens camarades de Daniel se retrouvent à cette cérémonie :
« Daniel ne ressemblait pas forcément au Romain Duris du film de Klapish mais c’était, lui aussi, un adolescent singulier à la forte personnalité, charmeur et enjôleur avec ses camarades et avec ses professeurs. Il suffit d’avoir vu ce film générationnel et d’avoir connu Daniel pour l’imaginer, à 15 ans, déjà libre, charismatique et facétieux. »
La cérémonie a duré une heure et tous n’ont pas pu parler.
Quinze jours avant sa mort, Daniel nous confiait qu’il souhaitait que la cérémonie soit un peu anarchique, sans trop vouloir s’investir dans la préparation : c’est le job des vivants. Mais il s’était cependant bien mis d’accord avec Stella, sa compagne devenue sa femme l’été dernier, pour « partir nu comme je suis venu au monde » enveloppé dans un linceul sur un lit de sable, en délaissant « les habits qui représentent le moi social ».
Et c’est ainsi que Daniel a quitté ce monde, sans faux-semblant mais pas sans grâce.