En France, les coopératives funéraires fleurissent ici et là, cherchant à donner un sens nouveau au rituel, que la religion déserte peu à peu. Leur objectif : proposer des obsèques éthiques et écologiques, à des prix justes et qui sortent des codes classiques du sobre et du noir.
Notre siècle enterrera l’expression « se retourner dans sa tombe », probable ou improbable ? En tout cas, les exemples pour l’imager risquent de se faire de plus en plus rare. Autorisée par l’église en 1963, la crémation ne représentait que 1 % des choix en 1980, pour atteindre les 39 % en 2019. Ce glissement de sépulture doit beaucoup à la disparition progressive du rituel catholique, associé à l’inhumation : les cérémonies religieuses sont passées de 69 % en 2005 à 50 % en 2019.
Mais cette sécularisation progressive a entraîné une disparition des rituels marquant les grands moments de la vie, et inévitablement, de la mort. Or sans rituel, « les proches restent coincés avec le mort », assure Edileuza Gallet. Cette psychanalyste a créé l’une des premières coopératives funéraires de France, installée à Bordeaux. Loin du rituel orchestré au millimètre par l’église, ces nouvelles pompes funèbres éthiques et écologiques encouragent les familles à prendre possession des cérémonies, en investissant les lieux publics et artistiques.
Une coopérative funéraire est un projet collectif, dont les clients et les partenaires sont co-propriétaires et votent à chaque décision importante. Ce statut garantit une gestion désintéressée et une lucrativité limitée. Depuis 2016, elles bourgeonnent en France : après Nantes, Rennes, Bordeaux ou Angers s’inspirent à leur tour du modèle québécois. Huit sont ouvertes, et trois ouvriront d’ici fin 2023, et plus d’une dizaine sont en configuration.
Funérailles cousues-main
Alors que les endeuillés du 20e siècle attendaient des pompes funèbres qu’elles leur servent sur un plateau une cérémonie standardisée, les coopératives funéraires proposent du sur-mesure. Leur crédo : « Les funérailles sont pour les vivants ». Il devient alors possible de tout inventer : le lieu de la cérémonie, le déroulé, la décoration… Seul incontournable : le cercueil. Mais personnalisé, s’il vous plait : les coopératives encouragent les draps colorés en guise de capitons, les urnes rouges en bambou, ou encore les cercueils peints par les proches. Pour elles, le geste de séparation, intégré au rituel inventé par la famille, est essentiel.
Les proches d’une dame buveuse de thé, par exemple, ont passé la cérémonie une tasse de thé à la main. « Il y a un vide dans l’imagination et le juridique, et on s’y engouffre, explique Marine Frugès, graphiste à la coopérative funéraire de Rennes, qui a accompagné 115 familles en 2022. Au début, les gens sont timorés, et on les autorise à imaginer des choses. On ne joue pas l’austérité. » Dans le local rennais, les canapés colorés et les M&Ms côtoient les instruments de musique.
Funérailles écolos
Si l’écologie s’impose peu à peu dans de nombreux secteurs de la société, elle ne constitue pas encore une valeur très forte dans le secteur funéraire. Mais les coopératives ont décidé, au contraire, de mettre l’accent sur l’approche écologique de la mort. A Bordeaux, les soins de conservation du défunt (réalisés avec du formol par un thanatopracteur) ne sont demandés que dans 5 % des cas, quand le taux national est de 45 %. « On explique que ce n’est ni nécessaire, ni obligatoire », explique Edileuza Gallet. Dans l’agence de Bordeaux, des urnes en terre, faites par des potiers locaux, ornent la vitrine. Les cercueils viennent du département voisin et tous les produits sont éco-certifiés. Côté fleurs, exit le plastique : les conseillers funéraires recommandent aux familles de confectionner leurs propres bouquets champêtres, ou a minima, d’acheter des fleurs et des plantes locales.
Funérailles artistiques
Loin de l’hommage impersonnel, sombre et uniformisé de beaucoup de cérémonies « traditionnelles » réalisées au cimetière ou au crématorium, les coopératives funéraires sont souvent sollicitées pour créer des cérémonies civiles personnalisées, en particulier pour des défunts « particuliers » tels que des enfants, des décès par suicides, ou des personnes sans famille. La coopérative de Rennes a, par exemple, loué un chapiteau à une compagnie de cirque pour la cérémonie d’un enfant. Pour une jeune danseuse, ses amis ont créé une cérémonie de 600 personnes, en plein air avec un concert et une levée de ballons au cimetière.
Funérailles ouvertes sur la ville
Les coopératives s’évertuent aussi à remettre la mort au cœur de la cité, quand, souvent, elle reste cantonnée aux lieux dédiés, tels que les cimetières et les églises. Après plusieurs années de requête auprès de la mairie, la coopérative bordelaise vient d’obtenir trois créneaux par semaine pour investir une salle communale de 500 places. Pour outiller le grand public sur ce sujet tabou, les coopératives funéraires organisent des « cafés mortels » (auxquels Usbek & Rica avaient dédié un article dans le magazine n°38) et des conférences sur le compostage du corps humain ou la végétalisation des cimetières. La coopérative de Rennes prévoit même un festival de la mort en septembre 2024. Tout un programme pour rendre la mort moins morose que jamais !
– 20 juillet 2023